Consommer Durable

Eau du robinet : inavouable(s) secret(s)?

Comment être sur de la qualité de l’eau du robinet, qui peut varier d’un endroit à l’autre ? Il semblerait que la seule solution soit de constater par soi-même, en faisant la demande de consultation du document public qu’est le relevé sanitaire municipal auprès de sa mairie. Autrement, le consommateur prendra le risque parfois inconsidéré du prêt d’une confiance aveugle envers son distributeur d’eau potable.

En mai 2010 France 2 diffusa pour la première fois un documentaire réalisé par Sophie LeGall, au titre anxiogène : « Du poison dans l’eau du robinet ». Au menu : d’inquiétantes révélations sur la qualité de l’eau publique en France. Le programme fut rediffusé vendredi 2 mars dans la nuit. Il est visible pour quelques jours encore sur le site de France télévision : Pluzz.fr. La rediffusion de ce modèle du travail de journalisme d’investigation lance un nouveau pavé dans la mare, alors que l’onde provoquée il y a bientôt deux ans par le premier jet s’est depuis évanouie, contrée par un mouvement bien plus fort et constant, un système rouillé, à la morale bloquée dans un conflit entre finance et santé publique…

Au coeur de l’enquête : le traitement des eaux de consommation en France.

Le constat est accablant : le traitement des eaux par les sels d’aluminium pour les rendre plus transparentes et satisfaisantes aux yeux des clients favoriserait le développement de la maladie d’Alzheimer. En particulier les dépassements fréquents des normes pourtant établies par l’UE, à 100µg/l (microgramme par litre).

Egalement au programme, la pollution aux pesticides et aux nitrates est elle aussi dangereusement minimisée, et le radon, un élément radioactif, présent en quantité alarmantes dans le Limousin.

Taux d'aluminium maxi autorisé par l'UE : 100microgramme / litre

Tristes points communs  : la santé des français, et notamment des femmes enceintes et des nourrissons, pourrait être gravement menacée. Celle des écosystème est tout bonnement bouleversée par endroits. Face à ces cas de santé publique, l’immobilisme ahurissant des autorités publiques et privées, accrochées à la préservation d’intérêts économiques et à la crainte d’un phénomène d’hystérie collective des consommateurs, fait figure, à la vision du reportage, de potentiel scandale sanitaire.

Sophie LeGall reprend la piste ouverte en 1998 par une équipe de chercheurs bordelais menée par JF Dartigues. Publiée par l’INSERM (l’institut de recherche du ministère de la santé), l’étude de ces chercheurs révélait que la présence d’aluminium dans l’eau du robinet, au delà de 100µg/l (la norme fixée par l’Union Européenne), multiplierait par deux les risques de développer un Alzheimer. Les conclusions du rapport sont alarmantes : il est préconisé de stopper le traitement des eaux de consommation au sels d’aluminium, et aux usagers ciblés géographiquement par l’enquête, d’arrêter de boire l’eau du robinet.

En réaction à ce qui semble être une bombe médiatique, le journaliste de France Soir Roger Lenglet publie un article intitulé « Eau du robinet : alerte à l’aluminium », à la Une du quotidien aujourd’hui disparut.

Sollicité par TF1, JF Dartigues relativisera au dernier moment les révélations fracassantes de ses recherches, inaugurant pour l’occasion un conditionnel presque apaisant à l’antenne. Il aurait été, aux dires de Guy Berthon, ancien directeur de recherches au CNRS, avisé par le ministre de la santé de l’époque, Bernard Kouchner,  de démentir le résultat de ses propres travaux en niant tout lien de cause à effet entre aluminium et Alzheimer.

En 2003 pourtant, le ministère de la Santé demande un rapport à l’AFSSA (Agence Française de Sécurité Sanitaire). Le document conclut que 16 millions de personnes en France boivent une eau traitée aux sels d’aluminium, et dépassant les normes de 100 µg/l pour 4 millions d’entre eux. Cependant, aucune allusion du rapport incitant à modifier la norme pour la quantité d’aluminium dans l’eau…

La responsable présentée par l’AFSSA pour répondre à la question, simple, de la journaliste : « cette eau, dépassant parfois jusqu’à 6 fois la norme de l’UE,  doit elle être consommée ou pas ? » arborera une mine fermée et un ton trop vite excédé, finissant par interrompre l’interview, se réfugiant pour sa défense derrière les « gestionnaires ».

Quelle alternative aux sels d’aluminium pour traiter l’eau ?

Ce procédé sert à nettoyer l’eau des particules en suspension qui peuvent la troubler. A Paris, ce système est banni depuis près de 30 ans. A la place, l’eau de la Seine est traitée au chlorure ferrique, inoffensif pour l’homme, qui coagule l’eau et élimine les particules de boue. Il n’est pas plus coûteux. Cependant, l’eau traitée peut être légèrement colorée.

Voilà pourquoi ce procédé n’est pas aujourd’hui généralisé. Il s’agit d’un double enjeu :

Aujourd’hui, c’est le statu quo. D’après la narration du reportage, le ministère ne recense plus les municipalités concernées par les dépassements de taux d’aluminium.

Suite page 2 : pesticides, nitrates, radioactivité : des cas alarmants

Pesticides, nitrates, radon, comment rendre l’eau impropre à la consommation ?

Un moment très fort du documentaire intervient lorsque Mme Le Gall va à la rencontre d’une mère de famille à qui la société Fabre à vendu un appareil au nom iconoclaste : le Calibro Dénitrateur. Pour la modique somme de 3000€, « financée par un petit crédit », la mini centrale de traitement garantit une eau de qualité, libérée de ces polluants, que l’on peut utiliser pour les biberons des nourissons.

Sauf que c’est faux. Après divulgation des résultats de la contre-analyse de l’équipe de journalistes, le représentant de la firme affiche une mauvaise foi d’apparat. Le gros plan sur cette mère qui vient d’apprendre qu’elle et ses enfants en bas âge consomment une eau impropre à la consommation est assez bouleversant.

Le radon, gaz radioactif, présent dans l’eau du Limousin

Alors que le documentaire relate avec une régularité implacable les charges contre la soi-disant qualité de l’eau du robinet en France, intervient un ingénieur du Limousin, sur la commune de St Sylvestre. Il vient faire de nouveau relevés en compagnie des journalistes. La scène qui suit est digne d’un film catastrophe à petit budget mais l’angoisse qu’elle suscite est hélas moins feinte. Le radon est un gaz radioactif, incolore, inodore, d’origine naturelle. Les analyses réglementaires ne prennent pas en compte sa présence dans les relevés. Or cette fois, l’ingénieur n’a jamais vu cela, le taux est si important qu’il déconseille même de rester près de l’endroit du relevé. En 2010, un laboratoire écrit à la ministre de la santé de l’époque, Roselyne Bachelot, pour lui demander d’intervenir sur la création d’une norme limitant la présence de radon dans l’eau. Sans suites.

Les poissons intersexués dans les cours d’eau :

Les eaux usées peuvent contenir de tout : même des résidus de médicaments. Par exemple, de pilule contraceptive. Des études ont montré que dans des milieux fermés, tels que des lacs, ont pouvait trouver de 4 à 40 % de poissons intersexués. Les échographies présentées à ce moment du reportage montrent la découverte, non anecdotique, du développement d’un ovaire sur un testicule de gardon.

Devant ces observations alarmantes sur la modification de l’écosystème aquatique, le ministère a commandé une étude sur l’effet des résidus de médicaments dans l’eau. Serons-nous un jour informés du résultat ? C’est sur cette question que s’achève le documentaire. Le générique nous rappelle sa date de production : 2010. Force est de constater que si résultats il y a eut, ils n’ont pas laissé de traces marquantes dans l’inconscient collectif.

La pollution médicamenteuse des cours d'eau est moins visible mais pas moins nocive pour la santé des écosystèmes, y compris celui de l'homme...

Ainsi, le reportage montre bien comment sont abandonnés à l’état d’impuissance les directeurs de laboratoire, mais aussi les maires, qui n’ont pas les moyens d’agir seuls.

Ce qui intrigue face aux protagonistes du documentaire, c’est l’attitude souvent gênée de ceux qui, confrontés à la réalité scientifique, deviennent soudain excédés et bottent en touche, ou alors sont très gênés comme si il s’agissait là d’un problème pas si anonyme qu’il n’en a l’air, mais plutot d’un secret bien gardé jusque là, que des prestidigitateurs intéressés gardent jalousement et férocement pendant les quelques instants précédant l’éclatement du scandale…

Verdict ? Comment s’informer sur la qualité de l’eau en France ?

Voici le lien direct.

Note 1 : faire bouillir l’eau n’éliminera pas les composés chimiques et autres métaux lourds.

Note 2 : quelques groupements d’habitants se sont déjà mobilisés par le passé et ont fait pression pour obtenir réparation suite à la découverte de ce piège en eaux troubles…

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En savoir plus sur l’eau :